Dossia Avdelidi

Le contrôle réveille- Ντόσια Αβδελίδη, Ψυχαναλύτρια - Ψυχολόγος

 

L’analyse a une fin logique. Le fantasme phallique peut se traverser. J.-A. Miller nous explique que quand Lacan dit que la position analytique est une position féminine, ça signifie qu’on ne peut pas être psychanalyste institué par le fantasme phallique[1]. D’où l’importance de la procédure de la passe qui est la seule à garantir que ce dont l’analyste jouit « n’interfère plus dans ce qu’il oit »[2].

 

Or se savoir être un rebut, n’est pas un savoir acquis une fois pour toutes. Il ne s’agit pas d’une possession acquise avec la traversée du fantasme, ce n’est pas un savoir-faire, c’est un savoir-y-faire qui est à vérifier à chaque séance. D’où l’importance du contrôle après la passe, qui assure que la coloration subjective du désir de l’analyste ne prendra pas le pas sur le désir d’« amener à l’être l’inconscient[3] ».

 

Pour pouvoir occuper cette place inédite du rebut, il est indispensable, comme dit Miller « de renoncer au sigle et à l’indication même du sujet[4] ». Impossible sans le contrôle que s’il n’est pas obligatoire, il est désiré. Et nécessaire, parce qu’il est le seul à provoquer, après la fin de l’analyse, un effet de réveil. Un contrôle qui réveille selon Marie-Hélène Brousse est un contrôle qui touche au reste symptomatique[5]. Si donc l’analyse a une fin, pour celui qui prend le risque d’occuper cette place inédite de rebut, le contrôle est infini.

 

Miller situe la passe au moment où l’on passe de l’inconscient au ça[6]. Si on situe dans le ça les pulsions et le réel, et dans l’inconscient le refoulement et le rêve, le moment de la passe est un moment de réveil. Mais il ne s’agit que d’un moment. Lacan nous enseigne que le réveil ne dure pas. Nul n’est à l’abri de l’horreur de savoir une fois pour toutes.

 

Au fur et à mesure qu’il avance dans son enseignement, le réveil devient de plus en plus illusoire. Dans La logique du fantasme, il dira que « le moment du réveil n’est peut-être jamais qu’un court instant, celui où on change de rideau[7] », tandis que dans RSI il assimilera le réveil à l’éclair[8]. À la fin de son enseignement, le réveil acquiert le statut de réel sous son aspect d’impossible. « […] la maladie mentale qu’est l’inconscient ne se réveille pas. Ce que Freud a énoncé et ce que je veux dire est qu’il n’y a en aucun cas de réveil[9] », dit-il en 1977.

 

Il n’y a pas de réveil total, mais il y a des moments de réveil. Un contrôle qui réveille, touche alors au réel. Or, ceci ne signifie pas que le contrôle se substitue à l’analyse. Le contrôle n’est pas la poursuite de l’analyse avec d’autres moyens. Il s’agit de deux expériences différentes.

 

D’abord parce que l’analyste contrôleur n’est pas à la même place que l’analyste. Il n’est pas à la place de l’objet a, il n’est pas un maitre non plus, il est dans une position de « subjectivité seconde[10] » comme dit Lacan. Dans un contrôle, il y a deux sujets qui discutent sur un cas. Pour moi, ce dispositif est crucial. La fin de l’analyse implique une séparation. L’Autre ne disparait pas complètement mais il est considérablement réduit. Le contrôle après la fin de mon analyse a aussi cette fonction de me lier à l’Autre de l’Ecole. D’où sa fréquence hebdomadaire et sa place irréductible et indispensable. Impossible de faire sans le contrôle non seulement parce qu’il y aura toujours des restes, mais aussi parce qu’il est un point de capiton entre moi et l’Ecole.

 

A quoi vise un contrôle ? Lacan n’a pas formulé une doctrine standardisée. L’échange entre le contrôleur et le contrôlé peut avoir une différente finalité selon le point où il se trouve le contrôlé. Différentes dimensions peuvent s’imbriquer. Il y a des contrôles qui posent des questions épistémiques et d’autres qui tournent autour des impasses subjectives[11].

 

Le contrôle sert, avant tout, à rectifier ma position d’analyste, à vérifier qu’il y a eu acte analytique et pas n’importe quel autre acte. Dans un texte intitulé « Réveil », Miller situe le désir de l’analyste au désir de réveil. Le désir de réveil est le désir de l’analyste en tant qu’il ne s’identifie pas au sujet supposé savoir, c’est-à-dire à un effet de sens, mais en tant qu’il atteste de sa présence, « qu’il atteste de sa présence la rencontre du réel[12] ». Dans cette perspective, une séance analytique a pour fonction de scander la rencontre toujours manquée du réel qui se déroule entre rêve et réveil. Et le contrôle vise à l’assurer. Cette perspective permet un déplacement du savoir, qui n’est que rêve, au réel ainsi qu’une redéfinition du désir de l’analyste, qui serait plutôt, selon les termes de Miller, un désir d’atteindre le réel, de réduire l’autre à sonréel et le dégager du sens.

 

Dans sa conférence à Columbia University Lacan se réfère à la supervision comme une super-audition. Je le cite : « Il arrive que je fasse ce qu’on appelle des supervisions. Je ne sais pas pourquoi on a appelé ça supervision. C’est une super-audition. Je veux dire qu’il est très surprenant qu’on puisse, à entendre ce que vous a raconté un praticien -surprenant qu’à travers ce qu’il vous dit on puisse avoir une représentation de celui qui est en analyse, qui est analysant. C’est une nouvelle dimension[13] ». Et il l’écrit dimension comme dit-mention c’est-à-dire l’endroit où repose un dit.

 

Pour Lacan tout discours est contaminé par le sommeil, tout discours est hypnotique, il a un effet de suggestion. Tout discours est endormant sauf quand on ne comprend pas ce qu’il veut dire. Dans ce cas, il réveille[14]. Autrement dit, ce qui endort c’est le sens.

 

Il arrive que le contrôleur écoute au-delà du sens, quelque chose que le contrôlé n’a pas dit. Le contrôleur parfois entend différemment un signifiant, ce qui permet un déplacement du problème et l’adoption d’une autre position. J’avais déjà témoigné quand j’etais AE comment, à deux reprises, dans une séance de contrôle, sous prétexte d’une faute linguistique, a surgit clandestinement quelque chose qui m’appartenait subjectivement. Il s’agissait d’un point aveugle.

 

Marie-Hélène Brousse, en s’appuyant sur la lettre volée, évoque la position d’aveuglement. Il s’agit de la place que peut occuper un sujet à un certain moment dans un dispositif. Celui qui possède la lettre est dépossédée de son sens. Il ne connait pas le message que la lettre comporte. C’est ce qui arrive souvent au contrôle. Il y a un effet de renversement. Et assez souvent il s’agit du même point aveugle qui se répète.

 

Dans un contrôle, il s’agit alors de lire autrement. Il s’agit de lire à l’envers, ce qui permet de faire sortir l’analyste contrôlé de son aveuglement. Et ça permet de rectifier sa position d’analyste. Donc, si le désir de dénuder la racine du refoulement est contaminé par n’importe quel autre désir, le travail analytique est court-circuité et le subjectif, forcément, est impliqué.

 

Peut-il exister un contrôle qui n’a pas des effets subjectifs ? Et jusqu’à quel point l’analyste contrôleur peut-il s’autoriser à interpréter l’inconscient du contrôlé ? Ce qui m’amène à une autre question : Que se passe-t-il quand derrière le contrôlé n’est pas un analysant mais un analysé ? En fait, la question que je me pose est la suivante : Est-ce qu’un analysé cesse vraiment d’être analysant ?

 

Jacques-Alain Miller précise que la position analysante permet de préserver la passion de l’ignorance c’est-à-dire qu’elle permet à l’analyste de se placer au point du « je ne sais pas » qui est à l’envers de l’infatuation. La formation analytique n’est pas l’accumulation des connaissances mais elle vise d’aller contre le refoulement. « La formation infinie, dit Miller, n’a de sens que si elle veut dire que l’analyste analysant continue, sans le secours d’un analyste, d’être aux prises avec son propre “je n’en veux rien savoir” [15] ».

 

Lacan pense que l’analyste devrait « s’arracher un tout petit peu au plan du rêve[16] ».Utiliser le contrôle pour ne pas être aveugle et ne pas être endormie tout le temps, outre un choix éthique, est aussi, en ce qui me concerne, un choix forcé puisque c’est une condition pour rester du côté de la vie.

 


[1] Miller Jacques-Alain, L’Être et l’Un, L’orientation lacanienne III, 13, cours du 9 février 2011

[2] Miller Jacques-Alain, « Le paradoxe du psychanalyste » in Comment finissent les analyses, Les paradoxes de la passe, Navarin, 2022, p.84

[3] Miller Jacques-Alain, « Lire un symptôme », disponible sur internet

[4] Miller Jacques-Alain, « La passe de la psychanalyse et le désir de savoir » in Comment finissent les analyses, op.cit., p.109

[5] Brousse Marie-Hélène, Intervention à la soirée de la Commission de la Garantie de l'ECF:  Le contrôle sur mesure , inédit, 2014, disponible à Radio Lacan

[6]Miller Jacques-Alain, L’être et l’Un, op.cit. cours du 18 mai 2011

[7]Lacan Jacques, La logique du fantasme, Le Séminaire, livre XIV, 1966-1967, Paris, Seuil, 2023, p.162

[8]Lacan Jacques, RSI, Séminaire XXII, 1974-1975, inédit, séance du 11 février 1975.  « Le réveil c’est un éclair. Quand ça m’arrive, pas souvent, il se situe pour moi – ça ne veut pas dire que ce soit comme ça pour tout le monde – au moment où effectivement je sors du sommeil. J’ai alors un bref éclair de lucidité. Ça ne dure pas, bien sûr – je rentre comme tout le monde dans ce rêve qu’on appelle la réalité, à savoir dans les discours dont je fais partie, et parmi lesquels j’essaye péniblement de frayer la voie au discours analytique »

[9]Lacan Jacques, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, Séminaire XXIV, 1976-1977, inédit, séance du 10 mai 1977

[10] Lacan Jacques, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 253

[11] « La confidence des contrôleurs suivie d’un débat », La cause freudienne, no 52, version cd-rom

[12]Miller Jacques-Alain, « Réveil », Ornicar ? 22/23, p.51

[13] Lacan Jacques, « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet 6/7, Seuil, 1976, p.42

[14]Lacan Jacques, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, op.cit., séance du 19 avril 1977

[15] Miller Jacques-Alin, in « La confidence des contrôleurs suivie d’un débat », op.cit., p.86

[16]Lacan J., L’envers de la psychanalyse, Le Séminaire, livre XVII, Paris, Seuil, 1991, p.148